Avis d’un microbiologiste sur l’amibe 

Lettre du Dr Jean Barbeau

Ph.D. en microbiologie et professeur titulaire de la faculté de médecine dentaire de l’université de Montréal

Cette lettre a été publiée dans le journal dentaire du Québec en octobre 2005, en réponse à un article du Dr Bonner sur les amibes.

Une des qualités à rechercher en science c’est l’autocritique qui doit être un réflexe provenant du doute scientifique. C’est une particularité importante qui fait que chaque chercheur et chaque professionnel de la santé a une responsabilité morale face au public. La responsabilité de vérifier, de re-vérifier et surtout de faire éprouver la solidité de ses résultats — et de l’interprétation qu’on en fait — par leurs pairs. Il en a toujours été ainsi. Le processus permet ainsi de se prémunir contre l’empirisme et les dérapages. Malheureusement, Dr Bonner pense qu’il n’est pas tenus à cette responsabilité. Il est trop facile de prétendre que le monde scientifique complote pour les faire taire ou cacher la vérité. C’est hélas se donner une bien grande importance. Si les résultats sur le rôle des amibes étaient fondés, crédibles et bien étoffés, ils seraient sans nul doute reconnus. Or, ce n’est pas le cas, si ce n’est que dans un cercle restreint d’initiés. Posons-nous la question : quel avantage aurait la communauté scientifique à cacher la vérité ? Comme c’est malheureusement parfois le cas, certaines «théories» sont le fruit de lectures polarisées par une idée fixe, d’un manque de sens critique évident et d’une bien piètre connaissance des principes fondamentaux des sciences biologiques. Le fardeau de la preuve repose sur la communauté scientifique Dr Bonner ? C’est chose faite depuis belle lurette. Heureusement, le fardeau de la preuve ne repose pas plus sur les tenants de la théorie des amibes.


Mettons les choses au clair ; les amibes existent, elles sont bel et bien présentes dans les échantillons de plaque sous-gingivale et il est vrai que leur prévalence et leur nombre tendent à augmenter dans les cas de parodontites. Je ne conteste pas ce point qui a été établi par un petit nombre de publications sérieuses (quelques 56 références au total répertoriées dans PubMed depuis 1953). Hélas, il y a très loin de la coupe aux lèvres ! La simple présence d’un micro-organisme dans un échantillon de tissus malade n’est nullement une preuve de son lien de causalité. C’est ce qu’on enseigne aux étudiants en médecine dentaire dès leur première année. Et la plupart le comprennent très bien, et s’en souviennent. Si Dr Bonner avait assisté sérieusement à ses cours de microbiologie bucco-dentaire, il aurait probablement appris que les maladies parodontales répondent difficilement aux postulats de Koch. Les parodontites sont des infections mixtes, complexes où des dizaines d’espèces de micro-organismes peuvent être présents simultanément. Les amibes peuvent causer des parodontites lorsqu’elles sont implantées dans un animal affaibli ? Cela démontre un pouvoir de pathogène opportuniste ? Ce n’est pas remis en doute. J’aimerais par contre qu’on m’explique ce que sont des bactéries symbiotiques synergistiques ? Je suis en microbiologie depuis près de 25 ans et je n’en ai jamais entendu parler : me l’aurait-on caché ?


Affirmer que «la représentation microscopique des morphotypes microbiens a depuis longtemps fait l’unanimité chez les auteurs scientifiques» est rigoureusement exact. C’est pour le moins une mirobolante trouvaille ! Je vois difficilement comment il pourrait en être autrement, et je vois encore plus difficilement ce que cette assertion vient faire dans l’histoire. Les pourcentages des différents morphotypes, rapportés par Dr Bonner, sont aussi similaires à ce qu’on peut retrouver dans la littérature scientifique. Si le but de cet exercice de revue de littérature est de démontrer que la microscopie sert à identifier des morphotypes, l’illumination tombe à plat. N’importe quel étudiant en première année au baccalauréat en microbiologie pourrait le dire sans fouiller dans la littérature. Antoni Van Leewenhoek aurait pu vraisemblablement donner quelques rudiments de base à Dr Bonner sur ce point, ayant été le premier à observer la plaque dentaire avec un microscope rudimentaire. On a rien réinventé.


Citer Dr Trevor Lyons est à mon avis une excellente idée. Dr Lyons a certainement donné un apport intéressant à la médecine dentaire. Il n’en demeure pas moins que certaines de ses affirmations démontrent une bien faible connaissance de certains principes de base. Ainsi, la phrase «le relâchement incontrôlé d’élastase, résultant de l’éclatement des leucocytes causé par E. gingivalis, serait compatible avec la classification de la maladie parodontale en tant que maladie auto-immune» cité triomphalement par Dr Bonner est une perle ! Encore une fois, je m’interroge : où donc était Dr Bonner (et peut-être Dr. Lyons) lors des cours d’immunologie de base ? Une bonne proportion des bactéries parodontopathogènes libère des enzymes et Actinobacillus actinomycetemcomitans est particulièrement efficace pour lyser les leucocytes ; où diable est le lien avec un quelconque processus auto-immun ? J’en parlerai bientôt à mes étudiants en immunologie pour savoir si j’ai manqué quelque chose d’important.


Les amibes disparaissent suite au traitement Bonner ? La belle affaire. Beaucoup d’autres micro-organismes disparaissent aussi Dr Bonner; ils ne sont pas aussi gros que les amibes, mais ils y étaient aussi. Le métronidazole (flagyl) est efficace contre les amibes ? Est-ce donc là une preuve solide que la parodontite est une infection à amibes ? Comme le métronidazole est aussi efficace contre les bactéries anaérobies, n’importe quel microbiologiste vous dirait, sans microscope, que les anaérobies ont aussi disparut. Vous tapez dans le tas, Dr Bonner, à quoi vous attendez-vous ?
Ce que je retiens de la lettre de Dr Bonner c’est que celui-ci a fait un bien mauvais amalgame de faits scientifiques mal compris et d’empirisme primaire. Nous avons là une collection de concepts tirés d’une littérature qui date parfois du début du siècle, mis bout à bout avec des données récentes, que Dr Bonner utilise de façon pour le moins douteuse. Y a-t-il un danger pour la population ? Je ne saurais le dire. Mais il y a pour le moins un danger certain de dérapage et de jeter le discrédit pour la plus élémentaire des méthodes scientifiques. Ne retournons pas en arrière au début du siècle de grâce !

Comme Yannick Villedieu l’avait fait à l’époque pour le Dr Lanctôt et son fameux ouvrage «La Mafia Médicale», je terminerai en donnant un généreux 20% en microbiologie et un 0% en immunologie à Dr Bonner et lui annonce qu’il est recalé.

Jean Barbeau
Microbiologiste
Professeur Titulaire
Faculté de médecine dentaire
Université de Montréal

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